LA RUE EST À TOUTES !
Dans les rues, dans les squares, sur les places, des quartiers, 
on rencontre moins de filles que de garçons. Les Bourderies ne font pas exception. Deux (moins) jeunes impliqué.es dans la vie locale livrent leurs constatations et suggèrent des pistes 
pour partager équitablement l’espace public.
ATELIER FRIANDISES THÉ OU CAFÉ ? LA RUE EST À TOUTES ! PARLEZ-VOUS NANTAIS ? BOURDERIESSUR-MER

Elodie Lelou a grandi à Bellevue. La question des relations entre les garçons et les filles au sein de ce quartier la préoccupait. En 2013, alors étudiante en sociologie, elle trouve l’occasion de creuser le sujet. Pour préparer son

master, elle effectue un stage de cinq mois à la mairie de Nantes, au service de la Mission Santé publique. Une
enquête auprès de professionnel.les
avait déjà été menée ; on confie
à Elodie Lelou le soin d’interroger les jeunes elles/eux-mêmes à Bellevue.

 

L’enquête suit une méthodologie qualitative : pas de questionnaire ni réponses types, mais une parole libre.
Elle a rencontré 22 filles et 21 garçons
de 8/11 ans en entretien collectif, au sein des écoles primaires du quartier. Elle prévoit également de rencontrer vingt jeunes de 12 à 17 ans en entretien individuel.

Mais si Elodie Lelou peut s’entretenir confidentiellement avec dix jeunes filles, elle devra se contenter de sept garçons.  Car les 15-17 ans « ne voulaient pas parler sur ce thème, et pas à une fille, ce que je suis. J’ai rencontré quelques garçons un peu plus âgés. »

De ses entretiens,
Elodie Lelou a conclu que « Les filles établissent des stratégies pour passer inaperçues. Elles évitent certaines rues ou certaines stations de tram pour éviter que les garçons les embêtent. ». Alors que « les garçons se sentent chez eux dans le quartier. Ils estiment qu’une fille n’a pas à « traîner ». Les filles, elles, ont l’impression d’être

toujours surveillées. Les rumeurs vont vite ! Elles sortent rarement sans avoir

une raison à fournir : faire les courses,

aller en classe… »

Le Centre, un lieu pour souffler

Teddy Ranger est animateur au secteur Jeunes du Centre socioculturel ACCOORD des Bourderies. Il accueille notamment les 11-16 ans lors des moments d’accompagnement à la scolarité, en fin de journée. « Les filles se sentent à l’aise ici, elles sont nombreuses, elles savent que les garçons ne les embêteront pas. Enfin, en ce moment, car les cartes se redistribuent chaque année. Elles viennent pour se rencontrer sans leurs parents, parler des profs, des copains… »

Pour certaines, l’accompagnement à la scolarité n’est qu’un prétexte. « Elles ne sont pas beaucoup dans la projection. Elles ne voient pas les bienfaits de l’école pour l’accès à l’indépendance. » Teddy Ranger ne peut les obliger à travailler sur leurs devoirs. Mais il ne laisse pas passer, quitte à se montrer  « un peu provoc » quand il leur raconte le triste futur promis aux filles sans diplômes ni qualifications.

Pendant les vacances, les filles demandent à avoir des loisirs : « Plutôt des loisirs chers, auxquels elles ne peuvent pas accéder : du karting, de l’espace aquatique… Sinon, elles passent des moments entre elles, souvent tournés vers le soin de l’apparence : henné, coiffure… »

Cependant, les jeunes filles n’ont pas toujours le loisir d’accéder à des sorties et moments de détente : « On leur demande de garder les petites sœurs, de faire les courses ou le ménage. Elles sont en soutien à la maman. Ce n’est absolument pas le cas des garçons ! »

Les garçons, donc, jouissent de « beaucoup, beaucoup plus de liberté. La présence de filles dans l’espace public ne leur paraît pas légitime. Ils veulent empêcher qu’elles aient une mauvaise réputation. Dans leur tête, ils les protègent. En fait ils les jugent. Il faut qu’ils laissent de la place aux filles. »

 

Que faire pour que ça change ?

Teddy Ranger considère la fermeté des adultes comme indispensable au changement : « Ici, la porte est ouverte à tous, mais le sexisme est interdit. Il faut que, nous les animateurs et animatrices, on reste vigilants à adopter un traitement équitable vis-à-vis de toutes et tous les jeunes. » Un centre socio-culturel lui paraît un lieu idéal pour travailler à changer les mentalités, car « ici, on donne d’un.e jeune une autre image, souvent plus valorisante qu’à l’école. »

Pour Elodie Lelou, un travail en réseau, qui mobilise tous les professionnel.es œuvrant dans le domaine de la jeunesse, s’impose. « Les stéréotypes commencent dès le plus jeune âge. Après, ils jouent sur l’orientation scolaire et professionnelle, puis dans le monde du travail. C’est intéressant de dire aux filles qu’elles peuvent s’ouvrir, qu’elles ne sont pas obligées de se conformer au rôle social qu’on veut leur imposer. Aux garçons aussi, d’ailleurs ! »

Que souhaiteraient les jeunes rencontré.es pour un espace public plus accueillant et agréable ? « Les garçons se plaignent de ne pas avoir de salle pour eux. Ils disent que toutes sont pour les filles ! Elles, voudraient des espaces propres, colorés, esthétiques, avec des bancs. » Hélas ! personne ne souhaite davantage de lieux mixtes. Sorti.es des collèges et des lycées où force est d’au moins se côtoyer, filles et garçons ne se connaissent plus. Dommage, non ?