Une grande pièce de séjour, une chambre avec deux ou trois lits, les toilettes à l’extérieur, pas de salle de bain, « on prenait notre douche dans des baquets », voilà l’habitat dont se souviennent avec tendresse Josiane et Monique. Derrière, des champs. « Chacun avait sa parcelle à cultiver, raconte Monique. J’ai toujours vu mon père se levers vers 6 h, et aller faire son jardin avant de partir au travail en chemise/cravate. »
Monique est née dans le quartier, l’a quitté à 24 ans car elle avait épousé un Parisien, y est revenue à la retraite. Josiane, native du bas Chantenay, en a été chassée par les bombardements sur la Loire ; elle avait six ans. Elle habite le même immeuble depuis 1958. Malgré leur différence d’âge, elles partagent de nombreux souvenirs et engagements.
Les bonnes sœurs
et les rouges
A l’Occupation, des écoles ont été réquisitionnées. « Il n’y avait plus d’école pour tout le monde, se souvient Josiane. Ma mère a mis les filles chez les bonnes sœurs. » Somme toute, un refuge agréable, dans une ville durement éprouvée, où il faut apprendre à tenir sa langue pour ne pas trahir involontairement celles et ceux qui résistent. Monique, en revanche,
a gardé un mauvais souvenir de son passage dans une école religieuse, où elle arrive faute de place dans le public. Le béret et le silence obligatoires, les cérémonies innombrables du « mois de mai, mois de Marie », ne conviennent pas à cette adolescente des années 1950, qui a passé son enfance à jouer dans les terrains et vergers en y mangeant des pommes.
A cette époque, le quartier est de culture ouvrière. Les deux femmes se rappellent les affrontements entre « rouges » et « cathos ». Les deux camps organisaient des rencontres culturelles et festives. « Il y avait des choses qui bougeaient vraiment à ce moment-là, rappelle Monique. On n’avait pas forcément la télévision. On allait à des soirées cinéma dans les écoles, des fêtes qui duraient très tard... » « Maintenant, déplore Josiane, les trois quarts des gens ne se parlent même pas. »
Toute une ambiance
« Rue de la Convention, on avait plus de cinquante commerces, dont quatre cafés, c’était normal ! » On ne vivait pas encore à temps compté. Fréquenter les boutiques fournissait aussi l’occasion de se rencontrer et de se régaler des spectacles qu‘y donnaient parfois des personnages pittoresques. La dernière boucherie a fermé peu avant 2000. La disparition des boutiques spécialisées a « changé l’ambiance », commente sobrement Josiane.
Les sorties collectives et les fêtes populaires obtenaient un vif succès.
En particulier celles de la mi-Carême, où entreprises et commerces fermaient traditionnellement. « Tout le monde faisait la fête partout, on rentrait à pied
en chantant. » Tout fournissait un prétexte à sortir. Si on allait en famille aux manifestations sportives, les femmes ne pratiquaient que très rarement un sport.
Les Bourderies, hier et aujourd’hui
Durant la reconstruction de Nantes, qui s’étend jusqu’aux années 1960, les immeubles poussent aux Bourderies. Les usines près de la Loire fournissent du travail aux habitant.es. En 1967, Josiane entre chez Waterman : « L’usine sortait de l’ordinaire. Il y avait un bus spécial, une crèche, une infirmerie, un docteur... » Elle employait environ mille ouvrières. « Tout a changé quand la patronne a vendu à des Américains. » Nous étions en 1987. Récemment la délocalisation en Pologne a occasionné beaucoup de licenciements. Il en va de même dans quasi toutes les usines de la Loire. Les Bourderies se sont attristées.
Cela n’empêche pas Josiane et Monique de s’intéresser activement à leur quartier. Depuis sa retraite, Josiane fait partie de la CNL (Confédération nationale du logement). Elle s’est rebellée, entre
autres, contre la construction de nouveaux bâtiments sur l’espace vert, planté de vieux arbres rares, devant l’immeuble qu’elle habite. En tant que propriétaire de sa maison, Monique a eu du mal à se faire admettre dans les réunions de riverains : « Pourtant, j’habite en face, ça me concerne ! ». Les deux femmes s’inquiètent d’incohérences dans le projet, de l’opacité des informations qu’elles reçoivent. Elles ont fait venir la presse et ne renoncent pas, mais « c’est lourd ». ■