Mais où sont donc les Bourderies ?
Après un échange d’informations et de suppositions, on peine toujours à définir les limites du quartier. Une réalité s’impose : jusqu’en 1908, Chantenay était un village indépendant, et les Bourderies, un de ses lieux-dits. L’agriculture y prospérait, ce pourquoi la terre y est restée féconde. Dans les années 1950, les champs ont peu à peu laissé la
place aux pavillons et immeubles. Il s’agissait de reloger les Nantais.es chassé.es par les bombardements de septembre 1943, qui avaient détruit quelque quatre mille habitations.
Du travail pour toutes
Yacinthe Le Goyet a travaillé une douzaine d’années à l’usine Carnaud, où l’on fabriquait des boîtes de conserve. Les femmes utilisaient des sertisseuses et des agrafeuses. Les hommes, aux cisailles, étaient « payés davantage ». Pas de femmes parmi les chefs, mais beaucoup aux postes de bureau. Carnaud n’était qu’une des multiples entreprises qui, à proximité de la Loire, embauchaient des personnes du quartier. « Il y avait du travail partout. On sortait par une porte, on rentrait par une autre. » Yacinthe a vécu la transformation : « Il y avait environ mille trois cents personnes quand je suis arrivée, quatre cents quand je suis sortie. Ils embauchaient pour la saison, on ne restait plus. Il y avait des robots partout ! Maintenant, c’est encore pire. On ne trouve pas de boulot comme on veut. L’ambiance était plus tranquille avant. »
L’alimentation générale
Thérèse Drouet tenait une alimentation générale rue Galilée. Tous les matins à 5 h, son mari, qui occupait un autre emploi, partait au Champ de Mars chercher les fruits, légumes et autres produits frais proposés par des producteurs régionaux. « Il y avait de tout dans ce magasin. Même du crédit ! Beaucoup même, en ce temps-là. Les gens marchaient au carnet. Ils réglaient souvent à la quinzaine car ils étaient payés comme ça. » Thérèse connaissait tous les potins du quartier : « Il fallait avoir un cadenas ! Mais je n’ai jamais eu de problèmes, je savais me taire. J’ai passé de bons moments. » L’alimentation générale a fermé en 1970, vaincue par la concurrence du supermarché.
Faire ses courses
Après l’installation du premier supermarché, en 1967, Yvette Vidal a continué à aller faire ses courses tous les matins. « C’était ma sortie. Je retrouvais les mêmes personnes pour monter les neuf cents mètres d’une rue qui montait dur. On discutait de tout et de rien. » Yvette se souvient que « on ne bougeait pas tellement. Les jeunes sortent beaucoup. On ne peut pas voir les choses pareilles. »
La télévision
Lucie Gouleau est arrivée de son Vietnam natal chez sa belle-mère, une des premières habitantes de la cité des Bourderies. « C’était un champ ! », dit-elle. Son mari était officier et ils avaient trois enfants. Lorsqu’il mourut en Algérie, Lucie avait 29 ans. Elle devint, sans enthousiasme, assistante dans une école maternelle. « On m’a dit que ce n’était pas un travail pour une femme d’officier. J’ai passé un diplôme et j’ai travaillé dans les bureaux du service maritime. » L’éducation de ses enfants a monopolisé son temps. Elle suivait des principes bien établis : « Je n’ai pas acheté de télévision avant que mon fils aîné ait 18 ans ! Avant, ils allaient la regarder chez leurs grands-parents. A condition qu’ils n’aient pas écrasé mes fleurs ou cassé une vitre avec un ballon ! »
La guerre
On a toujours appelé Ambroisine Briand par son deuxième prénom, Marie. Jeune, elle travaillait au Café Français, à deux pas du passage Pommeraye. Les bombardements de 1943 l’ont expulsée vers Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, où elle a mis au monde son troisième et dernier enfant. À la fin de la guerre, « on est revenus habiter rue Maurice Barlier. Il y avait beaucoup de Bretons qui vivaient dans des baraques en bois. Quand ça s’est construit, ils sont partis en HLM. Nous, on est resté dans ce petit coin. »
Réjouissances
Escapades au centre ville ? Pas le temps. Pratique sportive ? Pas encore d’offres pour les femmes. Les distractions se déroulaient le dimanche, en famille. Le vélodrome du « Petit-Breton » à Chantenay offrait courses, arrivée du Tour de France avec Yvette Horner et son accordéon, et autres spectacles attrayants. Pour le 14 juillet, on allait danser place de la Nation, où s’installait souvent un cirque. Les beaux jours, on poussait jusqu’au jardin de Misery, rue des Garennes. « Ça faisait marcher un peu. », ajoute Lucie.
Femmes d’aujourd’hui
Yvette trouve que ses filles sont « toujours pressées ». « Mon fils aîné préférait avoir sa femme à la maison, raconte Yacinthe. Mon petit-fils Cyrille s’occupe complètement de ses enfants. Avec mon mari, ça n’était pas pareil ! Ça bouge petit à petit au fil des générations. » Thérèse approuve le constat – mais pas les faits : « Je ne suis pas tellement d’accord pour que les hommes s’occupent de tout. J’aimais quand chacun.e avait son domaine. Les femmes avaient plus de liberté chez elles. Maintenant, les hommes mettent le nez partout... Je ne sais pas
si c’est mieux. » ■